Alors que l’intelligence artificielle générative bouleverse nos repères, Alain Garnier, président de Jamespot, invite à dépasser les fantasmes de remplacement pour comprendre la véritable portée de cette révolution : non pas supplanter l’humain, mais augmenter les processus qui structurent nos organisations. Dans cette tribune, il explore les forces, les limites et les usages concrets d’une technologie appelée à redéfinir notre manière de travailler.
L’intelligence artificielle générative représente, à mes yeux, une révolution technologique d’une ampleur comparable à l’arrivée d’Internet ou du smartphone. Mais contrairement aux fantasmes ou aux craintes qu’elle suscite, l’IA n’est pas une rupture magique. C’est une nouvelle forme d’automatisation, capable non seulement de classifier, mais surtout de générer du contenu : textes, images, code, idées.
Nous sommes dans une phase d’émergence, où les usages se découvrent encore et où même les philosophes peinent à en saisir toutes les implications. C’est un peu comme les débuts du GPS sur smartphone : aujourd’hui évident, mais qui a nécessité du temps pour être compris et adopté.
Dans cette tribune, je vais partager ce qui me semble constituer tout l’intérêt de l’IA générative : sa capacité à augmenter nos processus, à les rendre plus intelligents et plus efficaces, tout en montrant clairement les aspects où elle ne pourra jamais remplacer l’humain.
Les cinq forces de l’IA générative
- La puissance génératrice contextuelle
L’IA ne se contente plus de trier ou de rechercher des informations. Elle crée du contenu adapté au contexte : rédige, résume, traduit, produit des réponses d’une précision inédite. Cela touche à quelque chose de fondamental : ce qui était jusqu’alors réservé à l’intelligence humaine (la rédaction et la création intellectuelle) devient accessible à la machine.
- L’adaptation contextuelle universelle
Les modèles de langage peuvent adopter des tons et des niveaux de complexité variés : expliquer un concept à un enfant de 5 ans, rédiger un texte académique ou juridique, passer d’un registre humoristique à un ton professionnel. Nous avons besoin de professeurs différents pour la maternelle et la philosophie ; l’IA peut devenir l’un ou l’autre selon le besoin.
- La créativité augmentée
L’IA peut générer des idées, proposer des solutions et effectuer un brainstorming iconoclaste. Mais il faut parfois “ouvrir la cage aux oiseaux” avec discernement : les prompts qui encadrent ses réponses limitent volontairement sa créativité pour éviter les dérives.
- La mémoire interactive
Elle ne se limite pas à répondre à des questions ponctuelles : elle peut maintenir un dialogue sur la durée, se souvenir du contexte et des interactions précédentes. Les systèmes actuels peuvent analyser plusieurs documents volumineux simultanément et en faire une synthèse, ce qui prendrait à un humain des heures de travail et de prise de notes.
- Le transfert de modalités
L’IA passe facilement de l’audio au texte, du texte au code, du code à l’image. Cette polyvalence dépasse nos capacités humaines, généralement spécialisées selon nos profils visuels, auditifs ou kinesthésiques.

L’impact de l’IA sur les processus métier
L’IA transforme nos workflows en intégrant des éléments non déterministes dans des chaînes auparavant purement mécaniques. Les assistants conversationnels nouvelle génération, combinant génération et bases documentaires (RAG), permettent d’interroger des procédures complexes comme jamais auparavant.
Chez Jamespot, nous avons développé “Mr Smith”, un chatbot capable d’interroger des documents complexes et de fournir des réponses précises tout en citant ses sources pour éviter les fameuses « hallucinations ».
Au-delà de la consultation documentaire, l’IA permet également d’anticiper des situations, d’optimiser des processus et d’assurer une traçabilité et un audit à grande échelle. Elle peut même moderniser des architectures logicielles anciennes, un travail qui auparavant demandait des mois d’expertise.
Les Extra Bots : donner vie aux processus
En plus de Mr-Smith.AI, nous avons aussi créé les Extra Bots, des agents conversationnels qui personnifient, incarnent un processus comme des collègues dans un outil collaboratif. Ils sont ainsi capables de réaliser diverses actions de manière automatique directement dans des espaces précis de la plateforme selon la mission pour laquelle ils ont été programmé.
Quelques cas d’usages concrets :
- Gestion d’appels d’offres : l’extrabot analyse automatiquement les appels d’offres (documents de 200 pages), évalue la correspondance avec les compétences de l’entreprise, identifie les points forts et faibles, et recommande une stratégie de réponse.
- Gestion d’incidents : dans le secteur du traitement des eaux, des Extra Bots analysent les fiches d’incidents avec photos, fournissent des recommandations techniques, et génèrent des synthèses pour la direction sur les tendances émergentes.
- Post-production vidéo : automatisation des transferts et traitement selon des workflows complexes.
- Commandes internes : Normalisation et matching intelligent entre demandes en langage naturel et disponibilité en stock, ce qui permet d’éviter les formulaires rigides.
Une approche qui combine automatisations, interventions de l’IA et interactions humaines. L’IA facilite, optimise et met en relation ce qui permet de rendre le processus vivant, fluide et collaboratif.
Pourquoi l’IA ne remplacera pas les humains
Même si ses capacités sont (incontestablement) impressionnantes, je vois plusieurs champs dans lesquels l’IA ne pourra pas remplacer l’humain et où ce dernier devra continuer à intervenir :
- Le jugement éthique et la nuance. Les situations complexes nécessitent souvent des arbitrages subtils, des réponses non-binaires, une capacité à « dire et se dédire » pour faire avancer les choses socialement. Une souplesse que l’IA ne possède pas aujourd’hui.
- La gestion de l’imprévu radical. Face à une crise totalement inédite (cyberattaque majeure, événement exceptionnel), l’humain doit « sortir du corpus » des situations connues et inventer des solutions nouvelles.
- La responsabilité légale. Une question cruciale et non résolue : qui est responsable quand une IA commet une erreur ? Le système juridique repose sur la notion de culpabilité individuelle. L’exemple médical est frappant : l’IA seule obtient de meilleurs résultats que l’IA avec le médecin ou le médecin seul, mais les médecins préfèrent « perdre 10 points de performance » pour garder la maîtrise et la responsabilité légale.
- L’intelligence sociale complexe. Négocier avec de multiples parties prenantes, comprendre les dynamiques de groupe, naviguer dans les relations interpersonnelles demeurent des compétences profondément humaines.
- La compréhension profonde des causes. Les systèmes d’IA génèrent des résultats impressionnants sans nécessairement « comprendre » au sens causal. C’est « la preuve du pudding » : si les gens le mangent, c’est qu’il est bon… mais comment faire un bon gâteau reste une question ouverte.
- La preuve formelle dans les systèmes critiques. Contrairement aux systèmes critiques traditionnels (aéronautique, médical) où existe une preuve formelle de sécurité, l’IA reste non-déterministe. On « fait au mieux » sans garantie absolue.
- Les biais et limites techniques. Les systèmes d’IA héritent des biais de leurs données d’entraînement et ont (de fait) des limitations (fenêtres contextuelles, oubli progressif).
En réalité, l’IA déplace du temps et des activités… mais elle ne supprime pas l’humain. C’est là tout son intérêt : les réunions ou tâches répétitives peuvent être réduites ou automatisées, permettant aux humains de gagner du temps et de se concentrer sur l’innovation, la stratégie et les relations humaines.

Mes recommandations pratiques
Pour les organisations :
- Commencez par les chatbots RAG : Tout processus devrait avoir son assistant conversationnel afin d’interroger les procédures et documentations.
- Soignez le paramétrage : 80 % de la réussite dépend du contexte que vous donnez à l’IA : qui est-il, quel ton doit-il adopter, quelles limites doit-il respecter, etc.
- Pensez réentrant : voyez les processus comme des systèmes combinant IA, humains et automatisations, avec des interactions fluides entre ces trois composantes.
- Sécurisez vos données : La question de la souveraineté des données reste cruciale. Privilégiez des solutions qui vous permettent de garder le contrôle de vos informations sensibles.
- Expérimentez et itérez : Comme tout nouveau collaborateur, l’IA nécessite du temps pour être « formée ». N’hésitez pas à expérimenter et à itérer afin de trouver la version optimale
Pour les individus, le message est simple : lancez-vous ! Arrêtez d’avoir peur, arrêtez de fantasmer. Touchez la technologie, comprenez-la, et restez dans le réel.
Une révolution en devenir
L’IA générative n’est pas une menace pour nos processus. Elle les augmente, les rend plus intelligents, plus réactifs, plus accessibles. Les prochaines années verront des avancées sur la responsabilité et l’explicabilité.
En attendant, mon invitation est simple : intégrez l’IA comme un outil d’augmentation, pas comme un remplacement, en gardant l’humain au centre pour le jugement, l’éthique, la responsabilité et la créativité stratégique.
L’IA ne remplace pas les processus. Elle les rend meilleurs. Et c’est déjà une révolution en soi.